Troubles bipolaires et addictions

Le trouble bipolaire est une perturbation de l’humeur récurrente, le plus souvent chronique, dont les formes sont très variées et trompeuses, amenant à définir plusieurs types de bipolarités.

Ces troubles se manifestent tout au long de la vie et sont généralement source de perturbations psychologiques personnelles, familiales et socioprofessionnelles délétères.

Ce trouble de l’humeur représente la sixième cause de handicap mondial. La prévalence sur un an est estimée à 1,7 % de la population générale (Rouillon, 2008) et ce indépendamment de l’origine ethnoculturelle. Tous les pays sont concernés, autant les hommes que les femmes. Le taux de 1,7 % rapporté à la population générale française, représenterait directement plus de six mille personnes.

La majorité des troubles bipolaires se manifeste par la survenue d’épisodes maniaques et dépressifs, et de périodes inter critiques encore appelées « intervalles libres ». Cette succession de montées et de baisses de l’humeur, de « hauts et de bas », débute en général vers l’adolescence, soit entre 15 et 24 ans.

Malheureusement cette altération de l’humeur est encore diagnostiquée tardivement, après environ une dizaine d’années d’évolution. Les manifestations à bas bruit, passant par l’exacerbation d’un comportement normal, expliquent ce retard de diagnostic.

Cette période, pendant laquelle la maladie n’est pas traitée, s’accompagne souvent d’une dégradation psychologique et sociale, d’hospitalisations, de ruptures de parcours scolaire, professionnel, d’une augmentation du taux de mortalité,…

La prévention du trouble bipolaire passe par la prise en charge thérapeutique et par un meilleur dépistage des troubles. Ce repérage concerne bien sûr la forme classique de la maladie dite de type I mais aussi les formes atténuées du trouble (type II, cyclothymie,…) qui, selon différentes études atteindrait 10 % à 12 % de la population générale française (soit environ 6000.000 de personnes). L’usage des substances psychoactives (tabac, alcool, cannabis) est retrouvé dans plus de 40 % des cas. Le tabagisme y est important avec généralement une forte dépendance.

Une étude en 2002, a concerné 200 fumeurs dépendants (Fagerström ≥ 5) avec une absence de troubles psychologiques l’année précédente. Cette étude a révélé la prédominance d’états dépressifs majeurs (73 % dans les antécédents du patient et 23 % actuels), or le tiers des dépressions unipolaires sont en fait des formes bipolaires, (Angst, Akiskal, Hantouche).

 

Fréquence des troubles bipolaires en population générale

 

Si la prévalence mondiale est de 1,2 % pour le trouble bipolaire I (ex-psychose maniaco- dépressive), son estimation est d’environ 3% pour l’hypomanie (Angst, 1992) et entre 5% et 12% de la population générale pour les troubles bipolaires atténués.

La prévalence des troubles bipolaires de type II passe de 0,5% à 6,4%, si on inclut les patients souffrant d’hypomanie brève, c’est-à-dire d’une durée de deux jours. Angst et al. (2003) ainsi que Judd et al. (2003) ont montré que ces patients devaient être pris en compte au même titre que les autres patients bipolaires, leur évolution à long terme étant similaire (Lakshmi, 2005).

En population « clinique », on estime la prévalence des troubles bipolaires entre 10% et 15% des consultations de psychiatrie générale (Rouillon et al., 1997). Ainsi près d’une personne sur six serait concernée.

Le trouble bipolaire touche autant les hommes que les femmes, quels que soient leur origine socioculturelle ou leurs niveaux socio-économiques. Cependant il y aurait plus d’épisodes dépressifs chez la femme et plus de manies unipolaires chez l’homme.

L’âge de début des troubles se situe généralement à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte (15 à 25 ans en moyenne). Il convient néanmoins de signaler la grande hétérogénéité de l’âge de début du trouble. Chez la personne âgée, il est alors souvent associé à une pathologie cérébrale organique (Tohen et al., 1995)

Selon la National Depression and Manic Depressive Association seulement 37% des patients auraient un emploi aux Etats-Unis. Au Royaume-Uni ce taux est de 46%. En France, Romans et coll. (1992) ont montré que 51% de ces sujets n’occupaient pas d’emploi rémunéré, que 22% ne travaillaient qu’à temps partiel et que seulement 16% avaient un emploi rémunéré à temps plein. Les conséquences sociales sont donc très importantes.

 

Fréquence des troubles bipolaires dans les addictions

 

La fréquence des conduites addictives chez les sujets souffrant de trouble bipolaire est 6,6 fois supérieure à celle observée en  population générale (Rouillon, 1997).                                    

L’étude NESARC (National Epidemiologic Survey on Alcohol and Related Conditions) du NIAAA (National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism), menée en population générale sur plus de 43 000 sujets a permis d’évaluer la fréquence des troubles bipolaires chez les patients présentant des conduites addictives :

– 33% des sujets dépendants aux opiacés avaient présenté un épisode maniaque au cours de leur vie, 10% un épisode hypomaniaque,

– 25% des sujets dépendants à la cocaïne avaient présenté un épisode maniaque au cours de leur vie, 9% un épisode hypomaniaque,

– 23% des sujets dépendants au cannabis avaient présenté un épisode maniaque au cours de leur vie, 10% un épisode hypomaniaque. Ces chiffres sont plus élevés que ceux constatés en population générale.

Chez les sujets alcoolodépendants, 7,6% avaient présenté un épisode maniaque dans les 12 mois précédant l’étude, 5% un épisode d’hypomanie. La consommation d’alcool est plus fréquente lors des épisodes maniaques que lors des épisodes dépressifs.

Le rôle du trouble bipolaire dans la dépendance tabagique a bien été souligné dans les travaux de Schermann (2004) – tableau 1 – et de Hughes (1986) – tableau 2.

 

 

Tableau1 : Fréquence des troubles psychiatriques chez 4075 fumeurs (actuels : 37%, dont 39% dépendants), âgés de 42 ans en moyenne. Les critères  du  diagnostic sont le DSM. Les  fumeurs dépendants sont comparés aux fumeurs non  dépendants (O.R)

 

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                          Troubles psychiatriques                                   Odds Ratio

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                          Troubles de l’humeur                                        1,9

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                           Dépression majeure                                          1,7

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                           Dysthymie                                                         1,5

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                           Troubles bipolaires I et II                                 4,7

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                           Troubles anxieux                                               2,1

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                           Anxiété généralisée                                          1,8

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                           Phobies sociales                                                2,0

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                           TOC                                                                  2,8

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                           Troubles paniques                                             2,2

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                           Agoraphobie                                                     1,6

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Ce travail est particulièrement important. C’est essentiellement chez les fumeurs avec dépendance tabagique selon le DSM (donc dépendance tabagique importante), qu’existe une association significative avec les troubles psychiatriques.

 

 

Tableau 2 : Fréquence du tabagisme en consultation psychiatrique

 

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                           Schizophrénie                                                   88 %

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                           Trouble bipolaire                                              70 %

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                           Dépression majeure                                           49 %

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                           Troubles anxieux                                               47 %

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 En conclusion, il s’avère que les troubles affectifs, de loin les plus fréquents, sont les troubles bipolaires. il s’avère aussi que les addictions sont fréquemment associées à ces troubles. Il est important de rechercher ces troubles bipolaires frustes d’une manière systématique devant toutes addictions importantes ou devant les polyaddictions car les résultats thérapeutiques sont très probants.

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